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Interstella 5555

Niveau de spoil : léger

Vous savez certainement déjà ce qu’est Interstella 5555 mais au cas où vous viendriez d’une autre dimension (ah ah), voici un petit résumé. En 2001 le groupe français d’electro Daft Punk sort son deuxième album, Discovery. Après l’excellent Homework, Daft Punk propose des titres plus « pop » avec pas mal de guitares et de voix vocodées. Si certains morceaux sont excellents, c’est surtout les clips qui les accompagnent qui vont nous intéresser. Ceux-ci sont en effet réalisés par Leiji Matsumoto himself, le papa d’Albator et de Galaxy Express. On y suit les aventures de personnages à la peau bleue dans le plus pur style d’animation japonaise. Dès la sortie du second single, on se rend compte que chaque clip est un segment d’un long métrage d’une heure qui sortira en 2003 : Interstella 5555 : The 5tory of the 5ecret 5tar 5ystem.

On dit qu’une bonne OST est une OST qu’on entend pas. En effet, la musique des animes n’a pour but que de mettre en valeur ce qui apparait à l’écran. Elle peut renforcer l’émotion d’une scène, la dédramatiser mais en tout cas, elle doit rester relativement discrète. Dans un vidéo clip, c’est l’exact contraire : c’est la musique qui est important et tout ce qui apparait à l’écran doit mettre en valeur cette dernière. On dit d’ailleurs qu’une bonne chanson n’a pas besoin de clips pour exister. C’est d’autant plus vrai que la mode des clips est passée, ceux-ci ne sont d’ailleurs plus vraiment diffusés (il faut zapper sur la TNT pour en trouver).

Quid alors d‘Interstella 5555, mix entre un anime (graphisme primordial) et clip vidéo (musique primordiale) ? Cela aurait pu être casse-gueule mais Daft Punk et la Toei ont parfaitement travaillé de concert (ah ah²).  Chacun semble être le support de l’autre, aucun ne tire la couverture à soi. Lorsqu’une musique est un peu trop répétitive, on se concentre sur ce qui apparait à l’écran. Lors de longues scènes où rien ne se passe, on prête d’avantage attention à la bande son. On a même quelquefois l’impression que Daft Punk a écrit la musique pour « illustrer » le film. Je pense notamment à certaines scènes, comme celle de la mort d’un des personnages parfaitement illustrée par Something about us.

Mais justement, que vaut Interstella 5555 au niveau du graphisme ? L’animation est plutôt pauvre, assez peu d’imagination sur ce point. Cela nous permet tout de même d’admirer les décors qui sont franchement bien foutus, qu’il s’agisse de paysages urbains ou ruraux (le segment Voyager est sans doute le plus beau). Quand au charadesign si particulier de Leiji Matsumoto, il ne laissera personne indifférent. Personnellement, j’aime beaucoup son trait unique. Peu de charadesigner ont un style aussi varié, la preuve :

Les personnages « nains » sont vraiment marrants, les mecs sont beau gosses et les femmes ont un côté fascinant assez troublant. Remarquons d’ailleurs que chez Matsumoto, ce sont les hommes qui ont de grands yeux ronds et les femmes qui ont des yeux tout en longueur. Et à mon sens, ce charadesign sied parfaitement au format d’Interstella 5555. Comme il s’agit d’un film muet, les émotions des personnages ne passent que par leurs expressions faciales qui doivent donc être très marquées, presque exagérées. Il en résulte du coup un côté cliché et monolithique de ces derniers, tout cela étant renforcé par la simplicité du scénario.

Scénario qui comme je l’ai dit plus haut est volontairement basique pour qu’on passe moins de temps à se triturer la tête et qu’on fasse plus attention à la musique. Il en résulte un manichéisme extrême : les méchants sont très méchants, les gentils (bien plus nombreux) sont très gentils. Pourtant, on se prend d’affection pour les personnages. Stella est vraiment séduisante, il émane d’elle une beauté mystérieuse, une douceur et une fragilité qui  la rendent attachante. Quand à Shep, s’il parait niais lors de sa première apparition, son amour pour Stella et sa détermination lui donne rapidement une classe de dingue.

Le découpage de ce film ressemble à celui d’une pièce de théâtre : à chaque chanson correspond un acte. On pouvait craindre une rupture entre chaque morceau mais il n’en est rien, ces derniers s’enchainant parfaitement. La seule grosse ellipse temporelle est utilisée à bon escient vers la fin du film dans le but de nous diriger tout doucement vers la conclusion de l’histoire. Et l’épilogue, s’il n’apporte pas grand chose au niveau scénaristique est également très réussi, mélangeant fiction et réalité (on y aperçoit des figurines des personnages du film et des deux membres de Daft Punk)

Saluons enfin la présence d’une petite réflexion sur le monde de l’industrie musicale (le terme industrie convient parfaitement ici). Les Crescendolls sont un groupe fabriqué par un manager sans scrupule qui noie le monde entier sous un marketing coloré (chanson Crescendolls). On pourrait y voir une critique des jeunes groupes sans talents montés de toutes pièces uniquement pour répondre à une attente du public (Harder, Better, Faster, Stronger). Sauf qu’on nous montre à plusieurs reprises que le talent du groupe original est bien réel (One More Time), talent qui finit par transcender l’apparence physique et le marketing (Too Long).

Les Crescendolls, groupe formaté ayant perdu tout plaisir de jouer.

Si vous recherchez une histoire complexe et des personnages dotés d’une grande profondeur psychologique, passez votre chemin. Même chose si vous êtes allergique à la musique de Daft Punk. Si ce n’est pas le cas, vous passerez un très agréablement moment devant Interstella 5555.